
Garde-corps
Avec l’exposition Garde-corps présentée à La Conserverie, un lieu d'archives, à Metz, un important domaine de la culture visuelle en France est mis en regard de ce qu'on connaissait des photographes ambulants vers 1910-1930. Si leur existence est depuis assez longtemps attestée, leurs pratiques, productions et mode opératoire sont mal connus.
Opérateurs, mi professionnels mi amateurs, ces photographes se déplaçaient principalement dans les zones rurales ou péri-urbaines, pour tirer le portrait des habitants. L’exposition pointe une application en particulier, celle à l’habitat (maison individuelle rurale ou urbaine et immeuble de ville). Une application parmi beaucoup d’autres dans ce champ qui se révèle immense. On doit cette sélection de cartes photo à l’œil avisé de l’historienne Emmanuelle Fructus qui, depuis des années, a constitué une collection pointue des pratiques sociales de la photographie et des sujets.
Au moins deux caractéristiques ont permis de les identifier. Toutes les photographies présentées ont été développées sur du papier carte postale, légèrement épais et à son format (11 x 15 cm). Les tirages argentiques achetés parfois en plusieurs exemplaires par leur commanditaires ont souvent été utilisés à leur recto pour transmettre aux proches des nouvelles par voie postale. Certaines qui sont exposées à La Conserverie portent de courts messages.
La sobriété du dispositif choisi - montrer les cartes photo à plat telles qu’elles étaient conservées et non exposées au mur - semble aussi faire écho à la géographie de l’arpenteur photographe qui passait de rue en rue, de maisons en immeubles à la recherche de sujets consentants. Elle ne doit pas masquer toute la richesse humaine que révèlent ces photos.
Le désir d’être photographié (ensemble)
Pour une grande partie de la population, la réalité photographique est uniquement connue à travers les journaux. Cette distance est significative. La production des photographes ambulants s’adresse d'abord à des personnes qui a priori de la pratiquent pas, à l’inverse de la classe aisée informée depuis fort longtemps, ou qui ne se rendent pas, sauf exception, dans les studios des villes et des gros bourgs. Maints détails interprétés comme des marqueurs sociaux, environnement, lieu, habillement, chaussures, objets... renvoient à une classe sociale. Posséder un portrait photographique d'une image individuelle ou collective, pourrait s’inscrire dans un désir de participer enfin à la vie « moderne », de s’illustrer soi et témoigner de son existence, se rendre visible. Dans le contexte de la photographie des ambulants, ces images s'offrent ainsi comme un abrégé de réalités sociales à décrypter.
L’une d’entre elles est particulièrement manifeste dans la sélection retenue : la fratrie. Des petits-enfants aux grands parents, le nombre est un élément important de ce que l’on souhaite montrer : la tradition de la cohabitation de plusieurs générations sous le même toit. La « fratrie » semble même s’élargir aux voisins d’une rue ou d’un immeuble. On vit chez soi, mais apparemment aussi dans une communauté, dont on partage collectivement l’espace. Était-ce un effet de classe ? Imaginerait-on aujourd’hui se faire photographier avec ses voisins ? Ou était-ce tout simplement un moyen économique de réaliser un cliché qui servira à deux familles ? À certains de nos questionnements, il faudra nous reporter aux quelques études historiques signalées en notes du texte de présentation de Bertrand Tillier dans le catalogue qui accompagne l’exposition. Celle-ci nous force d’abord à nous imprégner des images.
De la géographique humaine
Dans cette série, le photographe ambulant ne pénètre pas chez les gens. Le résultat est avant tout une photographie de plein-air maintenue à distance des lieux privés et intimes. Au mieux, il prendra son cliché dans un jardinet ou une petite cour d’immeuble. C’est aussi une photographie composée avec les moyens du bord. Certaines mises en scène sont étudiées (portique de gymnastique), d’autres sont assez pauvres (une chaise), toutes sont mesurées. Comment se négociaient-elles ? Est-ce que le photographe ambulant donnait rendez-vous à ses commanditaires afin que tout les acteurs soient prêts ?
La relation à l'habitat ne manque pas d'interroger. Les personnes photographiées « s’inscrivent » au pas de leur porte, à la fenêtre de leur maison ou d’un immeuble. S'agit-il à chaque fois d'une habitation qu'elles possèdent ? On peut parfois en douter. Dans certaines images, particulièrement celles des garde-corps, on a l’impression que le photographe passant dans la rue hèle ses clientes et clients qui se mettent alors à la fenêtre. Ici, sur une carte photo d’un immeuble, le chez soi domestique est à peine mentionnée par les mots manuscrits « salon » et « salle à manger » au-dessous des fenêtres. Là, le chez soi patrimonial est mis en évidence par l’image d’une imposante maison à l’arrière-plan. Ces photographies témoignent qu’à la frontière du rural et de l’urbain, de l’ancien et du nouveau monde, libéral, des pauvres et des moins pauvres, l’habitation est une valeur essentielle, un faire-valoir, un critière de recherche d'indépendance. L’habitation se voit comme une carte de visite sans nom et sans adresse, mais avec un portrait !
On pourrait encore écrire bien des choses sur les poses standardisées qui renvoient à des conventions, l'instantané de la prise de vue qui peine parfois à dissimuler sourires ou même rires, le choix des vêtements, la présence récurrente d’animaux ou encore la beauté de certains visages, de même que les mille et un détails qui parsèment ces photographies in situ dont on peut louer par ailleurs la qualité technique et leur netteté.
On attend donc avec impatience une suite !
Garde-corps, une exposition de la collection Un livre Une image à La Conserverie, un lieu d’archives, Metz. Commissariat : Anne Delrez, directrice de La Conserverie, un lieu d’archives, Emmanuelle Fructus.
Jusqu’au 4 mai 2023.
Catalogue : Garde-corps, Un livre-Une image, texte de Bertrand Tillier, 28 pages en feuilles, 31 x 21,5 cm, Metz, C'était où ? C'était quand ?/ La Conserverie. 12 €
Les images utilisées ont été extraites du catalogue ou de l'exposition.
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